FAUT-IL CATALOGUER GASTON FLOQUET ?

 

Doit-on, peut-on mettre une étiquette à Gaston Floquet, le classer dans un genre artistique, le ranger sous une bannière ?

 

Une piste le situe parfois dans la catégorie " singulier ", voire " brut ".
Quels jalons avons-nous pour essayer d'y voir plus clair ?

 

Gaston Floquet a eu, il est vrai, un parcours atypique, fréquentant le collège, le lycée (et faisant certes aussi l'école buissonnière), puis les Beaux-Arts (où, disait-il, le professeur gardait subrepticement ses dessins, jamais vraiment académiques), un peu l'atelier d'André Lhôte, la Sorbonne où il fut inscrit plusieurs années en Lettres, en Langues Orientales, en Histoire des Religions et même en Médecine... assez pour s'en méfier " comme de la peste " et s'en démarquer, mais en connaissance de cause.
Son voisin à Saint-Rigomer ne l'appelait-il d'ailleurs pas, pour se moquer, "la Sorbonne"?
Faux autodidacte donc.

 

Il a fait beaucoup de " petits métiers " alimentaires pour pouvoir faire du théâtre, et n'a vraiment commencé son oeuvre plastique que vers l'âge de quarante ans.
Une fois établi à Saint-Rigomer-des-Bois en 1972, il s'est retrouvé dans une grande solitude après la disparition de son épouse, survenue peu après. La rencontre avec ceux qui sont devenus ensuite " l'Association des Amis de Gaston Floquet " a changé cette situation psychologique, mais il a continué à vivre seul dans sa maison où il créait.
Cela dit, cette solitude était extraordinairement peuplée d'auteurs, d'artistes présents dans les livres et les souvenirs, de réminiscences et de créations pures. Au point qu'il enregistrait, seul chez lui, sur son vieux magnétophone, des dialogues imaginaires entre lui et Arthur Rubinstein, passé par là lui rendre visite, entre lui et Jacques Mesrine, échappé célèbre errant dans la région, qu'il imaginait frappant à sa porte et lui demandant soudain refuge, ou entre Artaud et Michel Simon, qu'il imitait très bien... Rares étaient les productions de quelque sorte que ce soit qui ne fassent appel à une vaste culture, fût-ce pour s'en moquer ou les détourner.

 

Ce qu'il produisait dans le domaine plastique, surtout en sculpture, a souvent quelque chose d'insolite, de grotesque, de familier et de surprenant à la fois, beaucoup basé sur la récupération et le détournement. Il ne théorisait pas son travail, gardant ses " secrets de fabrication ", mais parlant souvent et volontiers art et littérature.
Il y avait aussi chez lui une énergie obsessionnelle à produire.

 

Certaines choses là-dedans plaideraient en faveur d'un rapprochement avec les " bruts ", les " singuliers " de l'art, comme on les appelle maintenant.

 

Cela dit, il était par ailleurs inséré dans les recherches plastiques, esthétiques, philosophiques de son époque. Il a beaucoup fréquenté les autres artistes et critiques d'art de son temps. Il était, ainsi que son épouse Anne-Marie, ami de Jacques Marchand, critique de théâtre au Figaro, de Jean Guichard-Meili, critique d'art (ami proche), de François Mathey, critique d'art, organisateur d'une exposition Floquet à Compiègne en 1972 (ami proche, condisciple de collège), de Lucien Mazenod (éditeur, pour qui il a traduit par exemple un gros ouvrage sur l'art égyptien),de Michel Carrade (peintre), d'Oscar Dominguez, d'André Masson, de Delphine Seyrig, de Laurent Terzieff et autres plasticiens et acteurs de théâtre ou de cinéma, qu'il fréquentait, en particulier à Paris.

 

Il n'y avait chez lui guère d'ingénuité dans le domaine artistique. Il avait lu 1200 auteurs, surtout du théâtre, de la poésie, des essais philosophiques, des critiques littéraires, etc., comme en témoignent ses fiches de lecture et son abondante bibliothèque... voire les noms qu'il donnait à certains de ses personnages. Il lisait le latin, le grec, connaissait très bien le Français, l'Allemand et un peu certaines langues anciennes. Dans le répertoire théâtral, il connaissait intimement les pièces qu'il avait jouées ou que son épouse avait montées, mais tout ce qui était théâtre lui était familier. Au point qu'il avait adapté pour le compte de la Comédie de la Loire une pièce du répertoire (la trace en est égarée) et qu'il écrivait lui-même des pièces encore pour l'heure non éditées.

 

De son vivant, Gaston n'entendait en tout cas se rattacher à aucun courant artistique. Il haïssait les catégories réductrices, à plus forte raison quand il s'agissait de lui. Il faut reconnaître que son travail, s'il a une qualité et un défaut à la fois, est éminemment divers, multiple, multiforme voire déconcertant.
Mais n'est-il pas dans la nature de l'art de déranger ?

 

Inclassable, alors ?
De nos jours, il semble difficile de donner droit à cette revendication. Dernièrement, nous avons découvert, punaisée à l'intérieur de la porte d'une armoire chez Gaston, une affiche " L'ART CONTEMPORAIN AU MARAIS ", illustrée par une peinture de lui datée de 1970 et comportant près de 70 noms en plus du sien, dont certains sont devenus très célèbres. Il était donc reconnu comme appartenant à " l'art contemporain " à son époque parmi ses pairs. Il semble qu'à ce moment-là un tel mélange était habituel et que la nécessité de classer les artistes par genres, étiquettes, catégories qui ne sauraient se confondre dans de mêmes expositions soit venue depuis et soit désormais la règle.

 

Qu'en disait-il lui-même, et quels événements permettent de donner des indications sur son rapport et le rapport de son oeuvre à l'art brut ?

 

Nous avons écrit à la directrice de la Fabuloserie en joignant des photos et une biographie de Gaston, lui demandant si le don de quelques oeuvres de Floquet pour son musée lui semblait une idée intéressante. Caroline Bourbonnais, a téléphoné pour répondre elle-même, disant que certaines oeuvres de Gaston Floquet ressemblaient en effet à celles qu'elle exposait mais qu'il lui semblait " malhonnête " de faire croire qu'elles procédaient de la même démarche. " Ce serait tromper nos visiteurs ", disait-elle. Elle regrettait, nous encourageant et nous remerciant de lui avoir écrit.

 

Nous avons aussi proposé à Gaston de contacter l'Aracine, musée d'art brut maintenant transféré à Villeneuve d'Asq, et lui avons montré des oeuvres qui y sont exposées. Il a refusé catégoriquement que nous donnions suite, ce à quoi nous nous sommes engagés. Une chose est sûre : quand Gaston Floquet avait entre les mains une revue consacrée à l'art brut, il s'emportait à l'idée d'être considéré comme l'un des artistes qui y sont à l'honneur. Il affirmait vigoureusement - à tort ou à raison - n'avoir aucune parenté avec eux, revendiquant en revanche d'autres influences, en particulier parmi les courants artistiques de son temps.

 

Un autre élément écrit est à verser au dossier de ce questionnement. C'est un extrait du bel article de Pierre Gicquel et Philippe Tétart publié dans le numéro 69 de la revue "303 Arts, Recherche et Création" des Pays de la Loire, consacré à Floquet, qu'ils ont rencontré chez lui en 2000 :

"Floquet n'est pas un artiste d'art brut. Il détient un savoir choisi, réfléchi, qui nourrit sa démarche dès les années cinquante. "D'abord je visitais beaucoup l'art contemporain et ancien. Ensuite, j'ai été inspiré par une connaissance très pointue de l'art, avec des artistes qui ont beaucoup compté pour moi : Jérôme Bosch, Vincent van Gogh, Matta, Nicolas de Staël, Jean-Michel Atlan. Les surréalistes aussi, sauf Breton. Celui-là, c'est un flic, pas un écrivain. Et encore d'autres, dont Picasso. Sans parler de l'art préhistorique. J'ai toujours considéré cette connaissance comme un enrichissement, mais en faisant en sorte de garder ma naïveté, pour que ça ne devienne pas un parasitage. Certains me disent, en regardant telle ou telle toile :"Tiens, on dirait du Picasso !" Eh bien non ! C'est du Floquet ! Et ça a toujours été du Floquet !"

 

Tout cela reste malgré tout sans cesse à explorer plus avant, ce à quoi s'emploie l'Association des Amis de Gaston Floquet, qui s'est donné pour but de répondre aux questions susceptibles de faire avancer la connaissance de cet artiste et de son oeuvre.




Enfin une contribution d'une compétence indiscutable à notre questionnement est opportunément arrivée de Laurent Danchin, spécialiste d'art brut en France, auteur de "Art Brut et Compagnie" (Halle Saint-Pierre, la Différence, 1995) et "Art brut - L'instinct créateur" (Gallimard, Découvertes, 2006), qui clôt le débat en disant :

Votre texte [ci-dessus] me paraît juste en tous points. Ce qui est certain c'est que Gaston Floquet ne peut en rien être assimilé à l'art brut : il est bien trop cultivé pour ça, c'est Caroline Bourbonnais qui a raison". Décembre 2006.

 

Si donc les statues, considérées isolément, peuvent faire illusion, l'abondante production graphique (peintures, encres, fusains, dessins...) - sans parler de la carrière littéraire et dramatique de Gaston Floquet - indique que cet artiste fut influencé par une multitude de courants culturels qui ont traversé son époque et qu'il ne saurait être réduit à aucune catégorie artistique, la catégorie "art brut" moins que toute autre.

 

Gaston Floquet possédait en effet une considérable culture littéraire et artistique qui imprégnait littéralement son travail dans tous les domaines. Il avait été influencé par les mouvements dada, surréaliste, 'pataphysique auxquels il avait participé sinon adhéré, fuyant écoles et chapelles, y compris celles-là, par méfiance viscérale et par hantise de se faire embrigader, récupérer, cataloguer.

 

En conclusion, on peut considérer que ranger Floquet dans une catégorie exclusive soit une entreprise réductrice et vaine.

 

Que tous ceux qui nous aident et nous incitent à mieux comprendre l'oeuvre de Gaston Floquet soient ici remerciés.

M.A. Décembre 2006