Hommage à Gaston Floquet

Contributions des amis et des voisins
Les Cahiers du Tertre ( janvier 2002)

La famille Guigot
Nicolas Elicio
Dr Eric Du Rozel
Jean-Marie Firmesse
Monique Audureau

GASTON

La première fois, nous avons été surpris par cet homme qui travaillait jusque tard dans la nuit, par sa marginalité, par le personnage en soi. Et puis, avec le temps, nous avons appris à le connaître et à l'aimer. Gaston, pour nous c'était notre voisin, notre ami, et un peu comme un grand père. On côtoyait l'homme et non l'artiste, mais on appréciait sesencres, ses collages, ses sculptures , ses dessins, son chat séché …

Quelques anecdotes ?
Adeline avait le droit de faire du vélo autour de son bureau, et tout en travaillant, il la regardait. Quand nous partions en vacances, tous les soirs il faisait le tour de la maison par sécurité. A la nouvelle année, c'était la traditionnelle tournée des chaumières pour présenter ses vœux. Que la journée et la route étaient longues !

Quand il était malade, pas question de faire appel à un médecin ! Je me soigne tout seul, disait-il. Mais il appréciait les bons potages qu'Andrée lui faisait. Il avait été surpris un jour de retrouver ses vieux cuivres comme neufs. Andrée et Séverine les avaient astiqués ! Bernard avait l'habitude de passer le voir au moins une fois par jour pour partager avec lui un petit whisky, mais s'il ne le voyait pas pendant une journée, il s'inquiétait et appelait à la maison.

Au collège Louise Michel, il était fier de l'exposition sur Pasteur qu'avait fait Séverine avec sa classe. Nous avons tellement partagé avec Gaston que des anecdotes, il y en a beaucoup. Gaston restera pour nous un homme cultivé, très enrichissant à écouter, et d'une grande gentillesse.

Alors, Gaston, un whisky et une gauloise !

Affectueusement et pour toujours dans nos cœurs,

La famille GUIGOT


C'était notre voisin, Un bon voisin.On le voyait peu, cependant.

Epris de liberté comme il l'était, mieux valait ne pas le visiter trop et surtout longtemps. Un bonjour, quelques mots, échangés quand il apparaissait au bout de sa " ruelle " lui suffisaient.

On l'apercevait dehors quand il faisait beau, occupé à ses sculptures, à tailler sa vigne-vierge, nourrir les mésanges qui nichaient dans les poteries accrochées à leur intention. S'il demandait un service, rarement, c'était timidement, comme s'il craignait de nous déranger.

Quand on actionnait le vieux heurtoir de sa porte, il invitait à entrer d'un " ho ! " retentissant. On le trouvait assis dans son fauteuil de bois, devant sa grande table au tapis autrefois vert, éclairée d'une grande suspension abat-jour.

Il s'occupait au collage ou à la lecture de ses vieux bouquins, comme fond sonore de belles musiques diffusées par un énorme poste à lampes.

Maintenant, la " ruelle " est vide, les feuilles jonchent le sol, la vigne-vierge a repris ses droits, le vieux poste s'est tu.

Nicolas ELICIO


Gaston a du se méfier lorsqu'il nous sommes arrivés à St RIGOMER en 1994. IMAGINEZ…………... !
- un couple et quatre enfants.
- quatre loupiots qui auraient bien pu bouleverser son univers d'anachorète.
- Uncouple de médecin , alors qu'un seul suffisait à lui donner de l'urticaire.

Et nous devenions ses plus proches voisins…… !

Finalement nous nous sommes liés d'amitié. Les enfants aimaient Gaston et Gaston le leur rendait bien. Il pactisait avec eux et leur ouvrait son univers. Chaque jour nous nous sommes " apprivoisés ".

Derrière une personnalité de façade, mélange de cynisme et de rigidité, nous avons découvert toute l'étendue de sa culture, de sa tendresse et de son humanisme. Un peu provocateur, il redécouvrait la médecine et nous invitait dans son monde des lettres, de la peinture et de la sculpture. C'était un homme d'airain au cœur d'argile.

Gaston refusait l'absolu, la soumission, les certitudes, l'ordre et l'autorité. Que de railleries à l'encontre des blouses blanches, des galons, des goupillons et des savants. Il était motivé par sa curiosité insatiable, encadré d'une grande honnêteté intellectuelle.

Gaston était un bon vivant qui menait un combat inégal avec lui-même : Dans son esprit luttait son lui avec son moi comme il aimait à le dire, s'inspirant de Victor Hugo. Une lutte qui opposait ce vers quoi il tendait de tout son être et ce qu'il était. Inégal : car malgré toutes les épreuves qu'il a traversées, au final la maladie l'a frappée à bout de force, alors même que son travail commençait à être reconnu de tous.

Ceux qui ont accompagné Gaston en fin de vie seront d'accord pour dire qu'aucune explication si pertinente et savante qu'elle soit ne suffisait pas à apaiser la souffrance de voir celui qu'on aime disparaître et perdre ses moyens. Rien n'empêchera l'onde de choc émotionnel qui s'en suit.

Mais j'ai l'intime conviction que Gaston a pu évacuer ses angoisses et ses souffrances tant il s'est senti soulagé et entouré lors de ses derniers jours à l'hôpital. Gaston était conscient de son état depuis plusieurs années et cela ne l'empêchait pas de parler de sa mort prochaine malgré une rémission tout à fait exceptionnelle.

Alors qu'il pouvait encore s'exprimer il me disait un jour de ma visite dans sa chambre : " Voyez-vous docteur, dans mon combat contre la maladie …..s'il en reste un …..ce sera vous ! "

Jamais Gaston ne s'est senti abandonné et je remercie ses amis proches , ses voisins et tous ceux de l'association des amis de Gaston Floquet, qui ont toujours œuvré " pour donner de la vie à ses jours et non des jours à sa vie "

Pour terminer je reprendrais cette phrase de Gaston
" Et puis il y a ….ceux qui nous ont précédé que l'on comprend mieux parce qu'ils sont morts "

Mon cher Gaston, Vous n'auriez pas du tout aimé cette épitaphe…….

c'est pourquoi je l'ai faite pour vous redire encore toute notre amitié.

Dr Eric du ROSEL


Les artistes sont éternels par l'œuvre qu'ils lèguent à la postérité.

Nous savons combien celle de Gaston est dense et riche. Nous mesurons peut-être plus difficilement la profondeur spirituelle de celle-ci.

Elle porte pourtant des regards, des interrogations, des mystères sur notre condition d'hommes et de femmes, faits certes de matière, mais aussi d'esprit.

Ainsi ce Christ , évoquant la faiblesse et la fragilité, et pourtant quelle force et quelle victoire sur la haine et sur la mort ! quelle démesure dans ces membres, prêts à nous envelopper pour nous faire partager le même destin !

Ce crucifix, c'est aussi une entité construite d'un grand nombre de pièces, toutes différentes, réunies à l'image de l'assemblée que nous formons en ce moment. Et puis, la vie de Gaston elle-même n'évoque-t-elle pas une incroyable résurrection ?

Cet homme marginal, reclus, solitaire en dépit de l'amitié bienveillante du voisinage et de quelques fidèles, cet homme au comportement suicidaire, que j'ai rencontré il y a un peu plus de vingt ans, n'est-il pas passé de la mort à la vie ? Non pas tout seul, mais grâce au regard que d'autres ont su porter sur lui, sur son art et sur sa personnalité originale ! Voilà encore matière à méditer ! …

C'est tout cela que Gaston nous offre, en cadeau d'au revoir, pour ceux qui restent et pour ceux qui viendront, avides de beauté ou chercheurs d'émotions, contemplant amusés l'œuvre d'un esprit fécond, libre et ouvert sur le monde.

Alors, merci et salut l'artiste !

Jean-Marie FIRMESSE


...................... IN MEMORIAM .......................

Il ne faisait que des autoportraits, construits, soudés, solides sur leur socle, couleurs cernées, citadelles de Verdun fortifiées par Vauban, pour l’éternité, pour traverser les guerres, résister aux sièges, sauf évidemment les Mies de Pain et les Croûtes de Fromage, que les petites souris avaient mangées. Mais il mettait des tapettes … dans lesquelles il s’attrapait le doigt, quand sa vue s’est mise à le trahir.

Il me manque.

Il se voyait grotesque, il se voyait drôle, à me faire mourir de rire, comme sans le faire exprès (tu parles, menteur !), comme son « Homo Erectus, qui se met debout pour la première fois. Il n’en revient pas, regarde ! », grave, obtus, brute minuscule, irrésistible en effet. Son créateur le regardait, féroce et amusé. Combien de temps avons-nous passé, lui et moi, devant la vitrine, à contempler ses ossements ressuscités, dérisoires comme nous les vivants dans nos poses ridicules, qui faisons les importants. On regardait en même temps la mort et la vie et la création en face, dans les yeux, en se faisant peur sans le dire et en rigolant.

Il se voyait épluchure, mais digne. Il se voyait éclat d’obus déchiqueté, mais reconstruit. Il se voyait débris réhabilité, et me réhabilitait moi aussi.

Je me posais avec lui sur le socle des anciens. On feuilletait Picasso au soleil devant la maison, tout doucement, à cause, d’un seul coup d’une ressemblance. Je me nourrissais. On discutait de « Richard II » de Shakespeare, qu’il était en train de lire, et dont il comptait les morts, mais il n’y arrivait pas, il y en avait trop. Alors on riait encore tous les deux.

Il m’appelait, avec un cri de victoire, inquiet quand même : « Viens voir, j’ai fini la série des glycéro ». Et une exposition m’attendait, disposée dehors sur les chaises de jardin. Je prenais des photos, en retenant mon souffle, en jubilant, commençant au bout de la ruelle, avant même qu’il m’ait vue arriver. « Celui-là n’est pas encore sec … Tu as d’autres cartons blancs comme ceux-là ? ».
J’y pense souvent, les jours de plein été.

J’ai conservé tous ses oulipo. Mais combien de fois m’a-t-il dit : « Tu aurais dû garder les cadavres exquis qu’on avait faits chez toi. Ah, quel dommage ! ». C’est grave, en effet. Comment survivre si on jette les cadavres exquis, je vous le demande ?

Je le vois partout. C’est de sa faute : il pouvait se réincarner de son vivant en bouddha dans une bouteille de Contrex.

Même sa maison, rebâtie sur une ruine, était un portrait de lui avec de la lumière en haut et dehors, et, à l’intérieur, dans l’ombre épaisse, des tiroirs, des caches secrètes, des négatifs de photos de bonheur, reliques, fragments sacrés de la vraie croix de bois, croix de fer, si tu mens …  « Les artistes sont des menteurs » « Alors, je ne dois pas te croire ? ». Je riais, lui pas, ou alors en douce, comédien, imperturbable. C’était un jeu, sérieux et léger en même temps.

Je garde précieusement en moi, va, ces innombrables voyages, ces moments de connivence qui, au fil de vingt-sept ans, ont tellement contribué à me construire.

Mais je me demande qui, maintenant, va corriger mes fautes d’orthographe.

Monique (avril 2001)

©Les amis de Gaston Floquet