L'univers du Gaston

 

On se dit après coup, j'ai croisé des types comme ça au hasard de la vie. J'étais jeune, bien trop à l'époque quand j'ai quitté cette ville d'Alençon. Après, il y a eu les Pyrénées, Paris, Toulouse, l'Inde, Paris et pas mal de détours. Ma foi si c'est par là qu'il faut passer allons-y.

 

Le vieil homme je l'avais rencontré lors d'une exposition organisée par ses amis. Les officiels commençaient à se bouger, à se dire que peut être il avaient dans leurs murs un de ces oiseaux étrange qui a fait escale dans leur hameau. Lui c'était pas son genre d'aller taper aux portes des maquignons de l'art, des afficheurs de médailles, et autres délivreurs de subventions. Il travaillait seul et en dehors de tout circuit.

 

La typographie et le métier que nous avions eu en commun. L'encre, le papier, les machines, lui un aristo du livre, un correcteur. Moi un grouillot de fond de cale, un margeur, un simple aide cocher…Ses fonds de boîte d'encre, les spatules essuyées à la hâte sur du papier journal. Trente ans après, ce sont des tableaux que les gens s'arrachent. Des papiers qui vieillissent mal.

Des matériaux de pauvre.

Question argent, le Gaston n'était pas riche.

 

Pour le reste, le bonhomme avait le cœur solide, et généreux. Le gosier en pente aussi. Il voulait après la mort de sa femme en finir plus vite. Whisky, gnôle ou kérosène, guère de différence, on ne regarde pas au flacon pourvu que ça aille vite et que l'effet soit garanti.

 

Poète, peintre, traducteur, typographe, grande gueule, bambochard, théâtreux… Un vie qui use la corde. Une voix qui reste.

 

Il a légué sa maison et toute son œuvre à sa commune, qui, si elle se demandait ce qu'elle pouvait bien faire de ses papiers découpés, de ses tas de ferrailles, des ses troncs sculptés, des ces tas d'os a fini par comprendre que ça pouvait en intéresser quelques uns les frasques du farfelu du bout du village et puis attirer du monde.

 

Depuis que le musée avait reçu six cent tableaux en donation, la télé régionale était même venu interroger les gens, c'est que ça doit valoir quelque chose. Même si ici personne, à part les professeurs qui enseignent à la ville, n'y comprend pas grand chose.

 

Alençon le pays de Poulet Malassis, l'imprimeur des Fleurs du Mal. Tradition oblige, un siècle après des figures de l'imprimerie traversent encore le bocage et celle du Gaston est pas mal…

Saïd Mohamed