Les Naufragés du Tertre
un bestiaire fantastique fantaisiste


« La fin de toute chair est arrivée, je l’ai décidé…, dit Dieu à Noé… De chaque espèce d’oiseaux, de chaque espèce de bestiaux, de chaque espèce de toutes les bestioles du sol, un couple viendra avec toi pour que tu les gardes en vie. De ton côté, procure-toi de tout ce qui se mange et fais-en provision ; cela servira de nourriture pour toi et pour eux. » [Genèse, 6, 13, 20, 21]

Anagramme de Noé : One. Un. The one, l’un.


Lorsque fatigué des trépidations de ses multiples vies, Gaston prenait quelque repos à Belleray ou quelque part ailleurs, dans les années 50 finissantes ou de plus en plus dans les années 60, et que bientôt, en 1972, il se retira sur le Tertre et domina de Saint-Rigomer-des-Bois la plaine d’Alençon, vis-à-vis le Mont des Avaloirs et Saint-Nicolas-des-Bois, il écoutait la voix de ses mains qui lui commandait de les suivre et de choisir parmi un fatras de fers, de bois, et d’os accumulés pour donner des formes aux sans-formes et leur offrir la possibilité d’une seconde vie, une vie d’après, une vie d’outre leur usage comme une vie d’outre-tombe. Alors il choisit et assembla, et il vit que cela était bon. Il fit beaucoup, et ne s’arrêta point. Il leur prêta aussi sa voix parfois. Autant dire son souffle. Il se battit avec les matières et les matériaux, et ce faisant il recréa tout un monde, un monde à son image, ou plutôt un monde riche des images et souvenirs qui étaient en lui, et qu’il ne savait pas toujours, mais qui surgissaient ou sourdaient comme par lui, avec lui et en lui. Si les mains et l’œil œuvraient, le hasard aussi. Et il se dit que le hasard c’était lui aussi. Ainsi était-il, dans ses récréations, faute de mieux, un recréateur. Et il se dit que tout compte fait, c’était cela qu’il était, et que ça valait la peine qu’il abandonnât le reste, ses autres vies. Il ouvrit sa maison alors à ses créatures…
Jean-François Hémery